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Henriette

Le 30 juillet marque la Journée mondiale contre la traite des êtres humains. À cette occasion, rencontre avec Henriette. Si aujourd’hui, elle est une femme épanouie, elle n’a pourtant pas eu l’adolescence dont elle rêvait. Abusée par la promesse d’un bel avenir en France, la petite togolaise a été une esclave domestique. Elle s’en relèvera en menant un long combat juridique.

« Si tu racontes ton histoire, personne ne te croira ! » 
Durant ses années de servitude, Henriette a souvent entendu cette phrase. Quatre années et demi pendant lesquelles la jeune fille de 14 ans est forcée de travailler sans rémunération sept jours sur sept, 15 heures par jour.

Amenée du Togo en France par une femme qui dit ne pas pouvoir avoir d’enfant, qui promet à ses parents de la scolariser et de lui apprendre un métier, Henriette est d’abord flattée d’être choisie, elle qui rêve du pays qu’elle aperçoit à la télévision dans la série  « Hélène et les garçons ».

« Quand je me suis retrouvée seule dans l’avion avec Simone, j’ai senti que je faisais une bêtise », se souvient Henriette. Sentiment qui se confirme quand elle arrive à destination. Un mari français qui laisse tout pouvoir à sa femme, deux autres fillettes togolaises arrivées avant elle, des pièces fermées à clé, un accès contrôlé au téléphone. Un piège d’où l’adolescente tente en vain de sortir.

Après six mois d’enfermement, Simone confie Henriette à un couple d’amis, dont la femme, mauritanienne, va avoir un troisième enfant. D’abord “prêtée“ pour accomplir les tâches domestiques, Henriette est définitivement cédée au couple en remboursement d’une forte dette contractée précédemment par Simone auprès de la femme du couple, Yasmina. Le mari de Yasmina est français, "bénéficiant d'un niveau culturel et social élevé, confie une personne proche d'Henriette. Ce qui montre hélas que ces drames peuvent se produire là où on l'imagine le moins!"

Je portais la petite dernière sur mon dos toute la journée (...) et la nuit je dormais au pied de son berceau, à même le sol. 

Henriette est désormais à la merci de Yasmina qui détient son passeport au visa d’entrée touristique périmé depuis plusieurs mois. Vulnérable, isolée, sans ressources, Henriette trouve une compensation dans l’amour des enfants qu’elle élève.

« Je portais la petite dernière sur mon dos toute la journée, je la nourrissais, je la changeais et la nuit je dormais au pied de son berceau, à même le sol. Je faisais faire les devoirs au plus grand et je conduisais le second à la maternelle. C’est lui qui m’a dit un jour : “ quand je serai grand, je t’emmènerai loin de maman qui est méchante avec toi“. »

Contrairement à d’autres enfants tombés en esclavage, Henriette n’a pas connu de violences physiques. « Peut-être parce que les enfants étaient toujours accrochés à moi. Mais elle m’insultait sans arrêt, et elle me punissait en me privant de nourriture. »

« AU DÉBUT, JE NE POUVAIS PAS PARLER DE CE QUE JE VENAIS DE VIVRE »

Un quatrième enfant naît du couple. Henriette devient de plus en plus faible physiquement et moralement. Elle puise encore un peu de courage dans la foi du Christ qu'elle a rencontré seule, en priant. Mais elle ne se voit plus d’avenir et pense constamment au suicide. Une voisine croisée dans l’escalier remarque cette dégradation et ose l’interroger. « Elle voulait savoir quel lien j’entretenais avec cette famille. Je lui ai tout raconté. »

La voisine alerte la police. Yasmina est contrainte de remettre aux policiers le passeport d’Henriette, "clandestine" sur le territoire français depuis près de cinq ans. L’adolescente a 19 ans à présent. Elle est confiée au Comité contre l’esclavage moderne (Ccem) qui va l’aider à retrouver santé et confiance en elle.

Après trois semaines d’hospitalisation et plusieurs mois de traitement pour soigner une anémie et des troubles de la vision, elle trouve dans sa famille d’accueil un solide appui. Les liens sont restés forts jusqu'à aujourd’hui. « Au début, je ne pouvais pas, je ne voulais pas parler de ce que je venais de vivre, parler de mon passé, de ce que j’avais traversé. Ce sont eux, les enfants de ma nouvelle famille qui m’ont dit : Ecris ! »

Lui, l’homme cultivé, intelligent (...) a eu du mal à accepter de n’avoir pas pu protéger sa propre fille. Avec le temps, je crois qu’il a compris que lui, ma mère et moi avons été tous les trois trompés.

Henriette écrit “Une esclave moderne", publié chez Michel Lafond. « L’édition est épuisée. J’aimerais bien qu’elle soit rééditée. Mon père ne voulait pas que je m’expose, que j’affiche le nom de notre famille. Je l’ai quand même publié. Il disait que j’exagérais sur lui. Lui, l’homme cultivé, intelligent, l’ancien inspecteur de police devenu directeur général de la sécurité, a eu du mal à accepter de n’avoir pas pu protéger sa propre fille. Avec le temps, je crois qu’il a compris que lui, ma mère et moi avons été tous les trois trompés. »

Henriette suit plusieurs formations qui l’amènent à travailler comme aide-soignante puis comme infirmière libérale. Elle reste en contact étroit avec l’équipe du Ccem qui l’accompagne dans sa reconstruction et dans la réparation de son préjudice.

Pour faire avancer la cause des victimes de la traite des êtres humains, Henriette ne refuse pas de témoigner. Récemment, elle est intervenue devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève lors d’une rencontre organisée par le Secours catholique, partenaire du Ccem, et par le réseau Caritas à l’occasion du rapport de la Rapporteuse spéciale contre la traite de l’ONU.
 

UN COMBAT JUDICIAIRE DE DIX ANS

Soutenue par le Ccem, Henriette s'est surtout battue devant les tribunaux français et la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh) pour que son cas soit connu et des mesures prises pour éviter à d'autres de connaître son sort. Un combat judiciaire qui a duré dix ans.

L’affaire est d’abord portée devant le tribunal correctionnel de Paris. Le couple d’exploiteurs y est condamné au pénal à de la prison ferme, mais relaxé deux ans plus tard par la Cour d’appel.

Sylvie O’Dy[1], vice-présidente du Ccem et militante depuis 23 ans, a été outrée par ce déni de justice et par l’attitude du président de la Cour d’appel qui comparait le travail domestique d’Henriette à ce qu’il avait vécu lorsqu’il était étudiant.

Nous voulions que la cour européenne reconnaisse l’insuffisance du droit pénal français à protéger contre la “servitude“ 

Sylvie O’Dy, vice-présidente du Ccem

Le Ccem et Henriette décident de se pourvoir en cassation qui, en effet, casse l’arrêt et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Versailles. Mais la cour ne peut statuer qu'au civil et condamne le couple à quelques milliers d’euros de dommages et intérêts. Pas de condamnation au pénal.

« Nous avons porté l’affaire devant la Cedh, se rappelle Sylvie O’Dy. Nous voulions que la cour européenne reconnaisse l’insuffisance du droit pénal français à protéger contre la “servitude“. » La Cedh constate que l’esclavage et la servitude ne sont pas réprimés en tant que tels par le droit pénal français, malgré les recommandations faites à la France quelques années plus tôt.

La législation pénale en vigueur à l’époque n’a pas assuré à Henriette la protection effective contre les actes dont elle a été victime. La Cedh condamne la France. « Une humiliation pour la patrie des droits de l’homme », constate Sylvie O’Dy qui estime par ailleurs que l’arrêt de la Cedh donne enfin une « définition claire de l’esclavage et de la servitude. Cet arrêt a fait évoluer les mentalités. » Le législateur français est contraint d'intégrer au code pénal les articles réprimant la servitude et l'esclavage domestique.

Henriette a fait progresser le droit pénal français. Depuis, la jeune femme s’est mariée, a aujourd’hui deux fils de 9 et 12 ans dont elle est très fière et dispense un enseignement sur les diverses branches du christianisme dans des écoles privées de Moselle.

« La vie que je mène aujourd’hui, dit-elle, est celle dont je rêvais quand j’étais petite fille. Je n’avais juste pas imaginé que je traverserais une adolescence aussi sombre avant d’y arriver. »


[1] Auteur du livre Esclaves en France. (2001) Préface de Robert Badinter. Editions Albin Michel
 

EN FRANCE, UNE AVANCÉE EN PLAN

En 2014, la France s’était dotée d’un plan triannuel de lutte contre la traite des êtres humains. Un progrès insuffisant pour le collectif “Ensemble contre la traite des êtres humains” que coordonne le Secours Catholique.

Le plan national 2014-2016 de lutte contre la traite des êtres humains a constitué une avancée saluée par les associations des droits de l’homme, car en France il était difficile d’identifier les victimes (souvent très diverses) de la traite des êtres humains.

La découverte de migrants asservis dans des ateliers clandestins à Paris ou dans des exploitations agricoles en province a fait prendre conscience que l’exploitation sexuelle n’était pas la seule forme d’exploitation humaine en France.

Les victimes ne dénoncent que très rarement les faits dont elles font l'objet

De même, le cas d’individus jugés pour avoir réduit des enfants africains à l’état d’esclaves domestiques a fait apparaître une réalité jusqu’alors insoupçonnée.

Mais ce phénomène reste encore peu visible dans notre pays. La Commission nationale consultative des droits de l’homme l’explique par l’insuffisance des moyens consacrés à l’identification des victimes de traite : ces victimes ne « s’identifient pas elles-mêmes en tant que telles et ne dénoncent que très rarement les faits dont elles font l’objet ».

En instaurant un parcours de sortie de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, la loi du 13 avril 2016 va dans le bon sens concernant cette forme de traite.

Mais pour Geneviève Colas, coordinatrice pour le Secours Catholique du collectif “Ensemble contre la traite des êtres humains”, le processus prévu par la loi devrait s’étendre à toutes les autres formes d’exploitation.

C’est sans doute ce que préconisera le futur plan 2017-2020, à l’élaboration duquel Geneviève Colas participe au sein du comité de coordination sur la lutte contre la traite des êtres humains de la Miprof, la Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains.

Chaque annéele nombre de victimes de la traite des êtres humains dans le monde ne cesse de croître.

L'exploitation sexuelle (43 %) arrive en tête devant le travail ou les services forcés (32 %).

Selon l'Organisation internationale du travail, au moins12, 3 millions de personnes sont victimes du travail forcé, dont 360 000 personnes dans les pays industrialisés, Europe incluse.

ÉRADIQUER LA TRAITE AU NIVEAU MONDIAL

Le 9 juin dernier, à Genève, experts et associations ont présenté devant les pays membres du Conseil des droits de l’homme des Nations unies leur expérience de terrain et leurs travaux de recherche dans la lutte contre la traite des êtres humains, notamment des enfants.

Chaque année, le nombre de victimes de la traite augmente. Or les États paraissent cruellement manquer de moyens pour, d’une part, prévenir ce fléau et identifier les victimes, et, d’autre part, protéger et aider ces dernières à se réinsérer dans la société.

Pour contrer ce trafic florissant, plusieurs réseaux d’associations (Coatnet, Ensemble contre la traite des êtres humains) se sont constitués au fil des ans. Les Nations unies mandatent des spécialistes bénévoles pour établir des rapports permettant de sensibiliser les États à ces trafics difficilement détectables.

LES ENFANTS, PREMIÈRES VICTIMES

Le 9 juin, associations et experts se sont exprimés devant le Conseil des droits de l’homme à Genève. Les deux rapporteurs spéciaux, Maud de Boer-Buquicchio et Maria Grazia Giammarinaro, ont présenté les résultats de leurs recherches.

La première sur la vente, la prostitution et la pornographie infantiles ; la seconde sur le lien direct existant entre la guerre et la traite. Premières victimes, les enfants de réfugiés risquent prostitution, mendicité ou travail forcés, mariages arrangés ou serviles, adoptions irrégulières, trafic d’organes.

La guerre projette un écran de fumée sur les trafiquants, qui restent impunis. Les enfants sont aussi victimes des politiques étatiques : à la frontière du Mexique et des États-Unis, entre 2015 et 2016, 100 000 enfants ont été placés en détention.

JACQUES DUFFAUT

Crédits photos : ©Gaël Kerbaol / Secours Catholique