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Justice : des clients de la prostitution responsabilisés

La loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées prévoit des stages de sensibilisation à destination des clients pénalisés. Voici un premier retour sur ce dispositif récent.

Les magistrats, dans le cadre de l’individualisation de la réponse pénale, ont le choix d’orienter les prévenus vers des stages de sensibilisation, en remplacement ou en complément de l’amende prévue pour le recours à des prestations sexuelles tarifées.
Seules les personnes estimées aptes par le juge à suivre cette journée et à se saisir d’un discours de sensibilisation sont envoyés vers cette mesure alternative de justice.

Le but ultime de ces journées est de prévenir la récidive en enclenchant un changement de regard et de comportement vis-à-vis de la prostitution : 

  • En posant le cadre et l’esprit de la loi
  • En informant sur la réalité prostitutionnelle, la traite des êtres humains et leurs violences
  • En invitant les stagiaires à mesurer le sens et la portée de l’achat de prestations sexuelles
  • En proposant un cadre ouvert aux stagiaires, favorisant un échange libre, afin d’établir un lien au travers duquel ils pourront s’interroger ou être touchés.

L’animation de ces stages est confiée par le Parquet de Paris à l’Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale qui coanime ces journées avec la Fondation Scelles, centre de ressource documentaire sur la traite à des fins prostitutionnelles ou la prostitution. 
Pour chaque journée, sont désignés une femme et un homme de chaque organisme pour organiser le stage.

François Vignaud, chargé de mission à la Fondation Scelles et co-animateur de ces stages, nous apporte aujourd’hui son regard sur ce nouveau dispositif.

Nicolas Bezin : Comment abordez-vous ces journées de sensibilisation ?
François Vignaud : Nous partons du principe que les prévenus ont déjà eu affaire à la justice puisqu’ils sont là. Nous évitons donc de reproduire ce cadre. Beaucoup de stagiaires ne mesurent pas la portée de leurs actes.

L’objectif principal consiste, par l’échange et la relation, à tenter d’enclencher une prise de conscience et un changement de comportement.

Nous avons l’occasion de créer un lien privilégié avec les stagiaires, en dehors de tout jugement, afin de les amener à changer de regard sur la prostitution et la traite des êtres humains et à s’interroger sur les raisons qui les ont poussés à y avoir recours.

N. B. : Quel est le contenu de ces stages ?
F. V. : Je tiens tout d’abord à ce que tous participent, s’expriment et interviennent car je pense que c’est ainsi que le lien de confiance se crée. La journée commence donc par un tour de table durant lequel chacun se présente. Je leur demande leur statut matrimonial, leur métier, leur formation initiale et la façon dont ils ont été interpellés. Ensuite, nous rappelons le cadre et l’esprit de la loi afin d’en comprendre le sens et la visée : protéger les victimes et réduire la demande de prestation sexuelle tarifée afin de lutter contre une offre qui réduit les femmes en esclavage. Nous abordons bien sûr la question de la traite - qui concerne 80% des prostituées - et des violences, de l’emprise et des souffrances qui l’accompagnent. Nous évoquons aussi le regard social sur la prostitution et sur le désir sexuel masculin.

Enfin, l’après-midi est consacré aux témoignages d’anciennes prostituées : deux en vidéo et un en présentiel. Ce sont les moments forts de ces journées, durant lesquels l’émotion et la sensibilité prennent le pas sur la réflexion. Les stagiaires sont alors touchés au cœur.

N. B. : Au regard de votre expérience, pouvez-vous dresser un portrait des participants ?
F. V. : Nous nous rendons compte que le recours à l’achat de prestations sexuelles touche tous les âges, toutes les catégories sociales et un large panel de professions manuelles et intellectuelles. Je note simplement que parmi les cadres, nous retrouvons une forte proportion d’informaticiens. Ce sont des personnes rationnelles dont les émotions et la créativité ont souvent été étouffées. Ceux que nous rencontrons dans les stages ne sont pas très à l’aise dans la relation et manquent souvent de confiance en eux. Par ailleurs, nous rencontrons beaucoup de personnes mariées, avec ou sans enfants, dans des contextes de couple difficiles ou des situations professionnelles compliquées. Autant de tensions qui viennent repousser les frontières de l’interdit et peuvent conduire au passage à l’acte. Il est tout de même nécessaire de distinguer les habitués de ceux qui sont dans une pratique occasionnelle. Mais au final, ceux qui ont recours à la prostitution et l’assument avec cynisme et désinvolture sont très rares.

N. B. : Quelles évolutions observez-vous chez les stagiaires au fil du stage ?
F. V. : En général, en début de journée les stagiaires sont assez réticents. Puis, ils s’ouvrent petit à petit à travers les échanges pour exprimer leur regard, leur ressenti, leurs détresses, leur solitude, leurs états d‘âme, leur culpabilité… A la fin de la journée, les stagiaires restent d’eux-mêmes pour discuter avec Rosen, qui a apporté son témoignage en présentiel. Ils font preuve ici d’un réel intérêt et d’une compassion sincère.

Télécharger la synthèse de François Vignaud

La Fondation Scelles

Depuis 1994, La Fondation Jean et Jeanne Scelles lutte pour le respect de la dignité humaine sous l’angle de l’exploitation sexuelle auprès des pouvoirs publics, médias et grand public en développant des analyses et recommandations, et en suivant l’évolution des lois et leur application. Elle a créé il y a 20 ans la plateforme du Centre de Recherches Internationales et de Documentation sur l'Exploitation Sexuelle (CRIDES) qui propose au grand public 10 000 documents ; et le site Internet est regardé par 250 000 personnes par an. Elle organise régulièrement des colloques touchant la traite sous l’angle de l’exploitation sexuelle. Depuis un an, elle lutte sur le terrain contre la traite des êtres humains en sensibilisant, au cours de stages, des « clients » de la prostitution.


Crédits photo : iStock Photo

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