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Enrayer le phénomène de la traite nigériane

Récemment a eu lieu le procès dit « Papa Zion » impliquant un réseau de traite nigériane sur Lyon. Les auteurs de l’organisation criminelle ont été condamnés pour traite des êtres humains et proxénétisme aggravé. Cette affaire est particulièrement représentative du phénomène de traite nigériane très présent sur le sol français.

L’enquête menée par l’OCRTEH a débuté en 2017, suite à un certain nombre d’observations « terrain » laissant présager la présence d’un réseau de traite nigériane exploitant un grand nombre de jeunes femmes dans le quartier de Gerland.

Un grand nombre de victimes n’ont pu être identifiées mais 10 d’entre elles se sont constituées partie civile. 11 auteurs ont été inculpés et menés devant la justice : Papa Zion, représentant de la SEC France, chef France de la confraternité, son épouse, 6 femmes proxénètes, 2 hommes chargés du transport et de la sécurité des victimes et un officier de police judiciaire qui a bénéficié d’un non-lieu.

A l’issue du procès, les prévenus ont principalement été condamnés pour traite et proxénétisme aggravé en bande organisée à des peines allant de 5 à 9 ans de prison ferme et aux paiements d’indemnités aux victimes variant selon les préjudices.

Cette affaire est particulièrement représentative du phénomène de traite en provenance du Nigéria.

Des jeunes femmes nigérianes sous l’emprise du « juju »

Cette forme de traite touche des jeunes femmes nigérianes issues de familles très modestes, à qui le réseau promet du travail en Europe. Elles vont alors prêter serment lors d’un rituel Vaudou (le « juju ») au cours duquel elles promettent de ne pas dénoncer leur Madame et de ne pas aller voir la Police.

Cette cérémonie exerce sur les victimes une emprise psychologique et mystique qui leur fait craindre les représailles du réseau sur elle ou leur famille, ou le mauvais sort en cas de trahison.

Lors du rituel, les auteurs informent les jeunes femmes qu’elles sont redevables d’une dette envers eux, dont la somme est largement au-dessus de leurs moyens de remboursement (entre 30 et 50 000 € par femme en moyenne). Elle est censée correspondre au prix du voyage et de l’hébergement sur place. En réalité, une fois en Europe, elles doivent ajouter à cette dette, les vêtements, la nourriture, l’hébergement et toutes charges que la proxénète jugera utile de faire payer à la victime.

Les victimes sont alors totalement dépendantes du réseau d’exploitation et sous l’emprise financière des auteurs de traite.

Des victimes sous constante surveillance

Les jeunes femmes rejoignent l’Europe par la terre puis en traversant la Méditerranée dans des conditions extrêmement difficiles. Elles restent en lien par téléphone avec leur Madame ou un proche de celle-ci lors du trajet.
Une fois en Europe, elles sont hébergées dans des appartements, la plupart du temps avec leur madame.

Elles sont ensuite amenées chaque soir dans des camionnettes sur les lieux de prostitution où elles sont exploitées toutes les nuits sous la surveillance du réseau.

L’argent de la prostitution est prélevé chaque semaine par leur Madame. Il sert à rembourser la dette et les frais annexes comme la nourriture, les vêtements... Au final, elles donnent la quasi-totalité de leurs revenus et sont soumises à des fouilles pour vérifier qu’elles ne gardent pas d’argent pour elles.

Des réseaux organisés en confraternités très hiérarchisées

Les réseaux de traite nigériane sont organisés en confraternité très hiérarchisées. Papa Zion était Le représentant de la SEC au niveau de la France. Au niveau en-dessous, on retrouve les personnes (principalement des hommes) chargées du transport et de la sécurité des femmes.

Enfin, les proxénètes sont quasiment toutes d’anciennes victimes d’exploitation. Elles sont chargées de récupérer l’argent des filles.

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Etablir la vérité par le témoignage des victimes

Dans toutes les affaires de traite à des fins d’exploitation sexuelle, le témoignage des victimes devant la justice est fondamental afin de révéler la réalité des faits et de mettre en lumière les mécanismes d’emprise des auteurs qui pèse sur ces femmes. Malheureusement, la plupart du temps, elles craignent les représailles des exploiteurs sur elles ou leur famille ou d’être confrontées aux exploiteurs lors de l’audience. Sous la menace du rituel « juju », elles redoutent également le mauvais sort qui pourrait s’abattre sur elles si elles trahissent leur serment.

C’est pourquoi, lors du démantèlement du réseau lyonnais, l’OCRTEH a fait appel à L’Amicale du Nid afin que des membres de l’association se rendent sur place pour informer les victimes sur leurs droits et leur proposer une mise à l’abri.

Le but est d’accompagner les jeunes femmes pour les rassurer et lever leurs craintes, afin notamment de favoriser leur collaboration avec la justice et leur implication dans le procès.

Ainsi, les forces de police et la justice ont plus de chances de connaitre la réalité des faits et de les juger en conséquence.

Dans le procès « Papa Zion », les témoignages des victimes ont permis de rétablir la vérité face à des prévenus qui niaient toutes les accusations en bloc malgré les éléments à charge contre eux.

Commencer à se reconstruire en s’investissant dans la procédure judiciaire

Lors de l’exploitation sexuelle, les victimes ont été assujetties aux auteurs et aux clients, manipulées telles des objets au service de personnes qui les ont utilisées à leurs fins.

En s’impliquant dans la procédure judiciaire et en prenant la parole lors du procès, ces femmes redeviennent actrices de leur propre vie et retrouvent ainsi leur statut de sujet et personne humaine à part entière.

Par ailleurs, le fait de voir la justice et la société condamner les actes des auteurs, ajouté à celui d’être considérées comme victimes d’un système d’exploitation par les autorités, est fondamentalement réparateur pour ces personnes. Cette forme de reconnaissance joue un rôle important dans leur processus de reconstruction.

 

L’Amicale du Nid

L’Amicale du Nid (AdN) est une association qui compte plus de 75 ans d’engagement auprès des personnes en situation de prostitution, victimes du système prostitutionnel, du proxénétisme et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle pour un accompagnement vers la sortie d'exploitation. C’est une association laïque, indépendante de toute organisation ou parti. Ses principes sont l’égalité entre les femmes et les hommes, la non-patrimonialité du corps humain qui ne peut être considéré comme un bien ou une marchandise, la dignité de la personne humaine visant à garantir son intégrité physique et psychologique contre toute atteinte extérieur.

L’association est présente sur 16 départements et compte plus de 250 professionnel.les qualifié.es et régulièrement formé.es. Elle inscrit son action dans un continuum au service de la prévention et de la lutte contre le système prostitutionnel

Le plaidoyer ;

action spécifique d’aide aux victimes d’infractions pénales : accompagnement juridique dédié, constitution de partie civile, chiffrage des préjudices

La prévention, la sensibilisation, la formation (l’AdN est organisme de formation), des diagnostics territoriaux, des recherches-actions, des missions mineur.es sur 5 départements : 1 500 professionnel.les sensibilisé.es et formé.es et 400 jeunes rencontré.es en intervention de prévention par an ;

L’aller-vers : 3 300 personnes rencontrées dans l’espace public, 1 700 sur Internet ;

L’accompagnement social global personnalisé : 4 500 personnes accueillies, 1 400 accompagnées ;

L’hébergement et le logement accompagné avec plus de 480 places : plus de 1 300 personnes hébergées ou logées par an (dont plus d’1/3 d’enfants).

L’adaptation à la vie active avec deux ateliers d’adaptation à la vie active (AAVA) comptant 38 places avec près de 90 stagiaires par an.


Article écrit en collaboration avec Mathilde Pradat, Juriste Equipe Mineur.e.s à l'Amicale du Nid 69