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Actualiser les compétences des acteurs luttant contre la traite

La formation des professionnels et bénévoles est un incontournable fondamental pour lutter contre la traite des êtres humains. Celle-ci évoluant rapidement, il est indispensable de mettre à jour régulièrement les connaissances et compétences des acteurs en contact avec des victimes afin d’assurer leur protection et leur orientation vers une sortie d’exploitation.

Nicolas Bezin : Dans quel cadre proposez-vous des formations sur la traite des êtres humains aux professionnels et bénévoles ?
Nagham Hriech Wahabi : En général, la demande vient d’eux. Ils nous contactent lorsqu’ils constatent qu’il leur manque des connaissances et des outils pour identifier, protéger et orienter les victimes de traite auxquelles ils sont confrontés. 

N.B. : Qu’est-ce qui amène les participants à vous solliciter ?
N. H. W. : Les professionnels et bénévoles viennent chercher des réponses précises sur la traite à travers ces formations. Le fait que nous proposons des contenus qui s’adaptent concrètement à leur demande et qui s’imprègnent de leur propre contexte les incite à nous solliciter. De plus, nous avons des années d’expertise sur toutes les formes de traite, incluant les volets sociaux, administratifs, juridiques et psychologiques.

N.B. : Quelles sont les types de demande auxquelles vous répondez ?
N. H. W. : Les demandes de formations dépendent du contexte dans lequel travaillent les professionnels et bénévoles. Elles peuvent porter sur l’identification des victimes de traite, sur la compréhension des mécanismes et des formes du phénomènes, sur des contextes précis - traite et migration, traite en Europe, exploitation sexuelle des mineurs… – sur l’accompagnement social, juridique ou psychologique des victimes - l’accès au droit, la gestion des demandes d’asile, l’hébergement, l’élaboration du récit… – sur l’orientation des personnes ou sur la prévention des victimes potentielles.

Pour chaque demande, nous nous inspirons spécifiquement du contexte des participants pour élaborer le contenu de la formation.

N.B. : Quels sont les personnes que vous formez ? 
N. H. W. : Nous formons essentiellement des professionnels et bénévoles confrontés à des situations de traite mais qui ne sont pas spécialisés dans ce domaine : des agents de l’Office Français pour l’Intégration et l’Immigration (OFII), des travailleurs sociaux des centres d’hébergement, des agents de la plateforme de demande d’asile, des juristes, du personnel hospitalier, des magistrats et avocats, des bénévoles de structures associatives… On nous demande également parfois d’intervenir directement auprès des jeunes ou des familles. Dans ce cas, nous faisons plutôt de la sensibilisation aux indicateurs de traite et de la prévention sur les risques. Nous donnons également des conseils pratiques pour orienter la victime et garder le lien avec elle. Enfin, nous formons également des citoyens qui ne sont pas engagés dans des associations. C’est le cas par exemple de personnes hébergeant des migrants ou des écrivains publics. 

N.B. : Quel rôle jouent ces citoyens auprès des victimes de traite ?
Ce maillage citoyen pallie à la disparition de structures associatives et à la réduction des places d’hébergement. Il joue un rôle important et méconnu auprès des victimes marginalisées qui n’ont pas accès aux services sociaux et qui ne vont pas vers la police en raison de leur situation irrégulière. Dans ce cadre, ils sont un point de contact important auprès des victimes. Il est donc nécessaire que ces acteurs soient également formés sur la traite afin de pouvoir réagir de façon pertinente lorsqu’ils sont confrontés à des situations d’exploitation.

Ce maillage citoyen pallie à la disparition de structures associatives et à la réduction des places d’hébergement. Il joue un rôle important et méconnu auprès des victimes marginalisées qui n’ont pas accès aux services sociaux et qui ne vont pas vers la police en raison de leur situation irrégulière

N.B. : Comment élaborez-vous le contenu de vos formations ?
N. H. W. : Nous n’avons pas de catalogue de formations. Nous adaptons notre contenu à chaque demande en essayant d’être le plus concret possible et le plus proche du contexte dans lequel évolue les participants. Le but est d’incarner la problématique qui reste très abstraite de la traite. Nous travaillons beaucoup à partir d’exemples amenés par les participants. Cela nous permet de corriger les représentations souvent archaïques et caricaturales de ce que sont la traite et l’esclavage.

N.B. : Quels sont les objectifs principaux des formations que vous dispensez ?
N. H. W. : Nous tentons de donner une meilleure connaissance du phénomène de traite, en phase avec la réalité des participants. Le but est de leur permettre de mieux identifier, accompagner, orienter et prévenir les personnes auxquelles ils sont confrontés, ainsi que d’arriver à recueillir les bons éléments du récit des victimes le plus rapidement possible. Pour cela, nous leur fournissons des indicateurs, des outils et des ressources qui leur permettent de voir si la personne est à risque, de l’orienter directement si elle est réceptive, ou de lui transmettre des coordonnées qu’elle pourra utiliser ultérieurement.

En renforçant les compétences et connaissances des professionnels, bénévoles et citoyens, nous souhaitons donner aux victimes les capacités de sortir elles-mêmes de l’exploitation, et ce dans un délai restreint et un cadre d’urgence comme c’est souvent le cas dans la traite.

N.B. : Quels sont les outils que vous utilisez en formation ?
N. H. W. : Nous travaillons à partir d’animation PowerPoint, de fiches techniques « reflexes », de témoignages de victimes, de Roll’Up… que nous adaptons à chaque formation. Nous avons également élaboré 2 guides : « mieux comprendre la traite des êtres humains » et « mieux comprendre le traitement judiciaire des violences faites aux femmes ».

N.B. : Quels sont les résultats que vous observez suite aux formations ?
N. H. W. : Nous avons souvent des signalements effectués par les participants lors des sessions. Dans la plupart des cas, ils sont très satisfaits et nous demandent d’intervenir dans leur structure sur des points particuliers qui les concernent. Par exemple, suite à une formation généraliste, des citoyens ont décidé de créer un lieu de vie pour les migrants. Ils nous ont demandé de les former sur la prévention et l’identification des victimes parmi les résidents…

N.B. : Quel rôle joue la formation dans la lutte contre la traite ?
N. H. W. : Le phénomène de traite évolue beaucoup. Il est important d’actualiser les connaissances et compétences des acteurs en contact avec les victimes. A mon sens, il est utile qu’ils suivent des formations régulièrement, sur la base de 2 fois par an, afin d’être en capacité d’accompagner les personnes dans des contextes qui évoluent très vite. 

« le jour où nous avons découvert l’esclavage moderne »

L’OICEM Organisation Internationale Contre l’Esclavage Moderne

Outre l’accompagnement de personnes victimes de traite exploitées en France et en Europe, l’OICEM développe depuis plusieurs années une assistance aux personnes mineures et majeures qui ont été victimes de traite, d’esclavage, de travail forcé, durant leur parcours migratoire. 
L’OICEM offre notamment un soutien psychologique spécialisé et vient en appui aux équipes professionnelles et bénévoles qui sont de plus en plus confrontées à des récits relatant ces faits de traite et d’esclavage.


Interview de Nagham Hriech Wahabi, directrice de l'OICEM