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Prévenir les conduites à risque de traite

La prévention auprès des jeunes joue un rôle déterminant dans la lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Elle permet aux mineurs de se préserver des risques en connaissance de cause. Mais la sensibilisation en milieu scolaire se heurte aux a priori des parents et enseignants, alors qu'elle concerne les programmes de l’Education Nationale. Aujourd’hui, les mentalités évoluent et le contexte semble plus propice à ces actions de prévention.

Nicolas Bezin : Qu'est-ce qui lie exploitation sexuelle et traite en ce qui concerne les enfants ?
Arthur Melon : Pour qualifier l’infraction de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, le droit nécessite de prouver l’existence de moyen de coercition exercé à l’encontre des victimes. Dès lors, les infractions de proxénétisme peuvent être qualifiées de traite. Toutefois, s’agissant des victimes mineures, pour qualifier la traite, il n’est pas nécessaire de prouver l’existence de moyen de coercition. En conséquence, légalement, tout mineur (0-18 ans) victime de proxénétisme peut être automatiquement considéré comme victime de traite des êtres humains.

N. B. : Pourquoi mettez-vous l’accent sur la prévention pour lutter contre l’exploitation sexuelle ? 
A. M. : Nous nous sommes rendu compte que lorsqu’un adolescent tombe dans l’exploitation sexuelle, il est très difficile de le convaincre de s’en extraire. Nous considérons donc qu’il est alors bien tard pour agir, et qu’il vaudrait mieux intervenir en amont. Nous constatons également que beaucoup de jeunes qui adoptent des conduites à risque d’exploitation sexuelle, ont subi auparavant des traumatismes d’ordres sexuel ou sentimental qui auraient certainement pu être évités s’il y avait eu des actions de prévention auprès de ces jeunes. Pour nous, les conduites à risque ne sont que les symptômes d’un mal plus profond. Dans ce cas, la prévention permet de limiter les risques en amont, en s’attaquant aux causes qui mènent à l’exploitation.

Nous constatons également que beaucoup de jeunes qui adoptent des conduites à risque d’exploitation sexuelle, ont subi auparavant des traumatismes d’ordres sexuel ou sentimental .../... Dans ce cas, la prévention permet de limiter les risques en amont en s’attaquant aux causes qui mènent à l’exploitation.

N. B. : A quel public adressez-vous vos actions de prévention ?
A. M. : La prévention, telle que nous l’envisageons, ne se limite pas à la sensibilisation aux risques d’exploitation sexuelle mais aborde de façon générale les compétences psychosociales et la question de la violence. C’est pourquoi nous ne nous adressons pas uniquement aux publics que nous caractérisons comme à risque, mais à l’ensemble de la jeunesse. De plus, nous prévenons aussi bien les conduites à risque en tant que victime qu’en tant qu’auteur. C’est-à-dire que nous tentons d’éviter que les jeunes adoptent des conduites prostitutionnelles, mais aussi qu’ils soient tentées d’acheter des actes sexuels. 

N. B. : Que prévoient les programmes de l’Education Nationale en termes de prévention des jeunes ?
A. M. : Au niveau de la législation, depuis 2001, chaque enfant est censé, par exemple, bénéficier de 3 séances annuelles de prévention sur la vie affective et sexuelle. Dans la réalité, les enseignants se limitent en général à une ou deux séances à partir des classes de quatrième, dans lesquelles on aborde la reproduction, la contraception, les maladies sexuellement transmissibles… Ce type de prévention exclut toute démarche auprès des plus jeunes.

De plus, cette approche pédagogique se limite trop souvent aux aspects sanitaires et physiologiques de la sexualité. Elle passe alors sous silence tout ce qui est de l’ordre du relationnel, de l’affectif, du plaisir et de la sexualité positive.

De votre côté, comment envisagez-vous la prévention pour les plus jeunes ?
Pour nous, la prévention commence dès la maternelle et l’école primaire. A ce stade, elle n’aborde pas les questions de la sexualité mais évoque les relations sociales et affectives. Le but est de fournir aux enfants des compétences psychosociales pour mieux gérer leurs émotions, mieux communiquer avec les autres et mieux lire les réactions chez les autres. Cela leur permettra de prendre conscience du moment où ils dépassent les limites de l’autre, de savoir que leur corps leur appartient et que certains endroits sont intimes. Ce sont des éléments qui s’appliquent à tous les domaines de l’existence. Il s’agit simplement d’apprendre à se faire respecter et respecter les autres, sur le plan physique et relationnel. Cette disposition d’esprit leur permettra de se prémunir des risques de violence, notamment d’ordre sexuel.

Pour nous, la prévention commence dès la maternelle et l’école primaire .../... Il s’agit simplement d’apprendre à se faire respecter et respecter les autres, sur le plan physique et relationnel. Cette disposition d’esprit leur permettra de se prémunir des risques de violence, notamment d’ordre sexuel.

Du coup, quel type de prévention adressez-vous aux collégiens et lycéens ?
A ce stade, nous pouvons aborder les relations amoureuses, les questions filles-garçons, puis la sexualité, et enfin les conduites à risque, notamment concernant l’exploitation sexuelle. Nous envisageons cela en plusieurs volets. Le premier est destiné à casser les préjugés sexistes ou les mythes qu’il peut y avoir sur l’un et l’autre des sexes. Le but est que chacun puisse être libre d’être comme il le souhaite sans se conformer à des clichés ou à ce que renvoient les médias. Nous insistons également sur la tolérance vis-à-vis des choix de l’autre. Ensuite, nous questionnons le rapport amoureux : qu’est-ce que l’on peut demander à son copain ou sa copine, qu’est-ce qui s’échange, qu’est-ce qui ne s’échange pas, qu’est-ce qui est de l’ordre de la violence.

On fait en sorte que chacun puisse faire respecter ses limites, en particulier pour savoir dire non quand le groupe nous incite à faire quelque chose dont on n’a pas envie.

Au sujet de la sexualité, c’est aussi en parler sous son aspect positif, c’est-à-dire le désir, le plaisir, la confiance, le bien-être… Les sujets sont assez larges, le but étant que chacun puisse être respectueux de l’autre et plus à l’aise avec ses propres choix. 

Quelles actions de prévention avez-vous menées jusqu’ici ?
En 2013, nous avons abordé l’exploitation sexuelle des enfants en France dans une édition spéciale du journal pour enfant de 11 à 13 ans « Mon Quotidien » qui a été diffusée aux familles et dans les écoles. A l’époque, le but était de communiquer sur l’existence de cette forme de prostitution méconnue. Nous informions dans ce numéro les familles et enseignants des risques encourus par les enfants, afin qu’ils puissent nous contacter pour en savoir plus. Ensuite, nous avons créé un guide pédagogique destiné aux enseignants. Il réunissait un ensemble de vidéos francophones, d’illustrations, de parutions et de sites internet qui permettait à chaque professeur de réaliser son propre programme de prévention.

Comment ont été accueillies ces initiatives ?
Les réactions ont été très mitigées et les destinataires se sont montrés assez méfiants vis-à-vis du sujet traité. Nous avons alors compris qu’il s’agissait d’un sujet tabou pour le public français et qu’il serait difficile de mobiliser les parents dans la prévention. Par ailleurs, beaucoup d'établissements scolaires n’ont pas souhaité se saisir du guide pédagogique. 

Quels ont été les motifs de rejets de ces outils par les parents et les enseignants ?
Pour les parents, il n’était pas question de parler d’exploitation sexuelle aux enfants ou aux familles car ils ne se sentaient pas concernés par le sujet. Pour les enseignants, ils préféraient ne pas aborder ces questions auprès de leurs élèves, estimant ce type de prévention non appropriée. Ces réactions ont duré à peu près 3 ans, mais, récemment, nous constatons que de plus en plus d’établissements s’intéressent à ces actions de sensibilisation.

Comment voyez-vous que les mentalités changent aujourd’hui sur ce sujet ?
Nous avons été contactés par plusieurs assistantes sociales ou infirmières scolaires qui souhaitaient travailler avec nous sur des projets de sensibilisation auprès des jeunes. Les directions des établissements craignent toujours la réaction des parents, mais nous constatons qu’aujourd’hui, le contexte est mûr pour aborder ces questions dans les écoles. Nous retravaillons donc sur un programme de prévention que nous proposons aux établissements intéressés.

Que prévoyez-vous dans ce nouveau programme ?
Pour les collégiens les plus jeunes, nous mettons en place un programme destiné à acquérir des compétences psychosociales qui permettent de mieux vivre ensemble et de résister aux pressions de groupe ou des médias. A partir de la 4e, nous abordons aussi les questions de vie affective et sexuelle.

Agir contre la Prostitution des Enfants (ACPE)

L’Association a été créée en 1986 pour sensibiliser, en France sur l’exploitation sexuelle des mineurs d’abord à l’étranger et aujourd’hui en France.

Ses missions sont essentiellement : 

Des campagnes de communication
Des actions en justice
De l’aide aux victimes
Du lobbying
Des actions de formation

L'ACPE s'intéresse aujourd'hui, en particulier, aux adolescents français -particulièrement invisibles- qui adoptent des conduites prostitutionnelles et qui sont sous l’emprise de réseaux.


Article écrit en collaboration avec :
Arthur Melon, : secrétaire général de l’ACPE