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Données administratives sur la traite des êtres humains, en France, depuis 2016

Le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a publié le 22 octobre 2021 pour la première fois une étude sur la thématique de la traite et de l’exploitation des êtres humains : « La traite et l’exploitation des êtres humains depuis 2016 : une approche par les données administratives ».

Geneviève Colas : Dans quel cadre s’inscrit cette étude ?


Amandine Sourd : Ces travaux s’inscrivent dans le cadre du Second plan d’action national contre la traite des êtres humains qui préconise par sa mesure 9 de « publier annuellement les données administratives disponibles en France ». Le pilotage de cette mesure était assuré auparavant par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) qui avait publié en 2019 une première étude à partir des données administratives. Dans le cadre de la dissolution de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) intervenue le 31 décembre 2020, le SSMSI a repris notamment le pilotage de la mesure.
Un groupe de travail institutionnel a été créé avec pour objectif de définir un champ commun et de dresser un panorama des données institutionnelles existantes.

Cette étude présente les données du SSMSI sur les procédures enregistrées par les services de police et de gendarmerie, les caractéristiques des victimes et des personnes mises en cause ainsi que les saisies en lien avec ce type d’infraction. Les données de la Direction générale des étrangers en France sur les titres de séjour et les statistiques sur les affaires, les personnes poursuivies et les condamnations de la Sous-direction de la statistique et des études du ministère de la Justice complètent l’approche.

G.C. : Quels sont les principaux enseignements de l’étude ?


A.S. : Les données sur la traite et l’exploitation des êtres humains issues des ministères de l’Intérieur et de la Justice montrent une augmentation des enregistrements entre 2016 et 2019. Cette hausse peut s’expliquer soit par une intensification du phénomène, soit être le reflet d’une meilleure détection et identification de ces infractions par les services. Notons que la crise sanitaire de 2020 a eu un impact à la baisse sur ces statistiques, similaire à ce que le SSMSI a pu constater sur la plupart des indicateurs de la délinquance enregistrée par les services de police et de gendarmerie. Plus spécifiquement, les procédures enregistrées par les services de police et de gendarmerie ont augmenté de 31 % entre 2016 et 2019.

Si on étudie plus en détails ces procédures, plus de la moitié ont des infractions de proxénétisme et seulement 15 % des infractions de traite des êtres humains.

Ces dernières ne nous permettent pas d’identifier les formes d’exploitation subies, mais l’étude des infractions connexes nous enseigne qu’un tiers sont liées à des infractions de proxénétisme.

Les profits générés par les activités criminelles de traite des êtres humains sont estimés à environ 150 milliards de dollars par an, la saisie des avoirs criminels est donc un enjeu majeur dans la lutte contre ce phénomène criminel.

Lorsque des saisies sont réalisées dans le cadre d’infraction de traite des êtres humains et de proxénétisme, les montants saisis sont plus importants que pour l’ensemble (50 % ont un montant supérieur à 1 200 € tandis que ce montant est de 700 € pour l’ensemble des saisies).
Les profils des victimes et des mis en cause varient suivant les formes d’exploitation. Les victimes d’infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme sont généralement des femmes (respectivement 69 % et 95 %) tandis que celles d’infractions d’exploitation par le travail sont majoritairement des hommes (66 %). À l’inverse, les personnes mises en cause pour des infractions de traite ou d’exploitation sont généralement des hommes (68 %). Des différences sont à noter pour les infractions de traite des êtres humains ou d’exploitation de la mendicité où la part des femmes est plus importante (respectivement 40 % et 62 %). Cette différence peut s’expliquer par la particularité des réseaux, comme les réseaux nigérians où les femmes exploitées exploitent d'autres personnes, ou ceux d’Europe de l’Est ayant une organisation plus clanique.

L’un des points essentiels de cette étude est la hausse du phénomène d’exploitation sexuelle de mineurs ou jeunes majeurs, principalement de nationalité française.

Ce constat est partagé par le ministère de l’Intérieur (le nombre de victimes mineures françaises a bondi de 21 points entre 2016 et 2020) et de la Justice (+83 % de personnes poursuivies pour une infraction avec au moins une victime mineure) mais également par la société civile et les services opérationnels (notamment l’Office central de lutte contre la traite des êtres humains).
Les données sur les poursuites montrent que les affaires en lien avec des infractions de traite des êtres humains et de proxénétisme font l’objet de plus longues investigations, à savoir une instruction, tandis que les personnes poursuivies pour des infractions d’exploitation par le travail sont plus de la moitié à passer en comparution immédiate. Les peines encourues sont également différentes suivant les infractions. Les auteurs condamnés pour une infraction de traite des êtres humains ont les quantums de peines moyens les plus lourds à savoir 3,8 ans ferme tandis que la peine d’emprisonnement ferme est de 4,8 mois pour les auteurs d’infractions d’exploitation de la mendicité.

G.C. : Quelle articulation possible entre ces données et celles issues des enquêtes menées auprès des associations ?


A.S. : Les données issues de l’enquête sur les victimes de traite des êtres humains accompagnées par les associations et celles issues des données administratives apportent des informations complémentaires permettant de mieux cerner le phénomène criminel de la traite des êtres humains.

En effet, les associations sont souvent les premières interlocutrices des victimes. En raison de l’emprise de l’exploiteur sur la victime, l’accompagnement peut prendre plusieurs années. Toutes ces victimes ne seront pas forcément connues des autorités.

Selon les données de la dernière enquête, seules 28 % des victimes accompagnées par les associations ont déposé plainte. Les administrations ne disposent donc que des informations sur les victimes qui se sont signalées auprès de ces autorités. Les données des associations vont permettre d’apporter certains détails sur les victimes, par exemple sur leur condition d’exploitation. Cependant, cette enquête est basée sur le volontariat des associations et n’a pas de prétention à l’exhaustivité. Les résultats sont donc dépendants des associations répondantes. La prochaine publication de ces données est prévue pour décembre 2021.

> Retrouver la publication dans son intégralité

Interview de Amandine Sourd, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), Préfiguratrice adjointe du bureau des études statistiques sur la lutte contre les stupéfiants, la délinquance économique et financière et la traite des êtres humains.