Le tribunal judiciaire de Paris vient de condamner le Président et fondateur de l’association « Vies de Paris » pour traite des êtres humains, travail dissimulé et emploi d’étrangers sans titre.
Une association organisant l’exploitation d’un public vulnérable
L’association « Vies de Paris » a été créée en novembre 2011. Elle était agréée par la préfecture de Seine Saint Denis pour la domiciliation de personnes sans domicile fixe. Selon ses statuts, elle promettait « de promouvoir la culture française sur le plan national et international à travers des activités culturelles, des formations et une aide à l’intégration ».
En réalité, l’association fonctionnait uniquement grâce au travail de « stagiaires » et « bénévoles », quasiment tous de nationalité étrangère et dépourvus de titre de séjour.
Ces personnes adhéraient à Vies de Paris pour obtenir une domiciliation, suivre une formation, ou bénéficier d’une assistance juridique.
Ces services étant payants, l’association faisait travailler bénévolement les victimes en échange de leur dette et profitait de leur grande vulnérabilité pour les soumettre à des horaires démesurés, des pressions insupportables, des menaces et des insultes, sans respecter aucune des règles élémentaires du droit du travail. L'association remettait aux personnes migrantes une carte aux atours officiels, flanquée du logo "Vie de Paris institute" qui, selon ses dires, devait permettre de justifier de leur présence sur le territoire en cas de contrôle.
Un procès important dans la mobilisation contre la traite par le travail
Le Président et fondateur de l’association ainsi que deux autres membres ont comparu devant le tribunal judiciaire de Paris.
Dans cette affaire, l’infraction de traite des êtres humains a été retenue en raison des conditions indignes de travail des bénévoles, des violences, des contraintes et des pressions exercées sur les travailleurs vulnérables, le tout au sein d’un système d’exploitation organisé.
Le procès a débouché sur la condamnation du Président à deux ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis, pour traite des êtres humains aggravée, travail dissimulé et emploi d’étrangers sans titre. Un des deux autres membres de l’association a été condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis pour complicité de traite et l’association Vies de Paris a été intégralement dissoute.
Les 51 victimes seront indemnisées pour préjudice moral de sommes allant de 2 000€ à 3 000€. Le Comité contre l’Esclavage Moderne a été reconnu dans sa constitution de partie civile recevant un euro symbolique de dommages et intérêts.
Ce dernier a accompagné 18 victimes, leur fournissant un soutien juridique, ou psychologique et socio-professionnel individualisé. Suite aux premières interventions des services de l’Inspection du travail et de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), une coordination étroite a été mise en place après une première évaluation des situations sociale et psychologique des victimes, les orientait vers la CGT et le CCEM pour l’accompagnement des victimes.
« C’est la première fois que le CCEM intervient auprès d’un si grand nombre de travailleurs sur un même dossier. Entre 2017 et 2022, le nombre d’affaires de ce type, concernant des faits d’exploitation en dehors du cadre domestique et à l’encontre d’un nombre important de victimes, ont davantage suscité l’intérêt des services enquêteurs. Grâce à des années d’efforts pour établir des relations de confiance et de coopération entre ces derniers et notre association, nous sommes désormais capables de collaborer de manière pertinente et globale. Les investigations sont menées par les services les plus compétents et les dossiers sont donc solides devant les tribunaux, et les victimes reçoivent l’aide spécialisée dont elles ont besoin. »
Mona CHAMASS, directrice du CCEM
« J’ai plaidé sur le préjudice de la perte d’humanité : leur individualité a été niée, ils ont été désubjectivisés, ils étaient interchangeables. Retrouver sa subjectivité, son libre arbitre, c’est long, c’est compliqué. Beaucoup racontent les cauchemars, la terreur d’être en retard au travail, de demander des jours de congé. Leurs traumatismes sont très importants ». Pour les 52 victimes de Vies de Paris, et les milliers d’autres qui ne se sont pas portées partie civile, ce procès permet de se reconstruire. Pour la justice, ce dossier pourrait bien devenir emblématique.»
Maître Aline Chanu, avocate des victimes, du CCEM et de la CGT, Actu juridique le 8 juillet 2022
Le Comité Contre l’Esclavage Moderne- CCEM
Depuis 1994, le CCEM dénonce toutes les formes d’esclavage contemporain partout dans le monde.
Il assure un accompagnement social et juridique des victimes de travail esclave, et de traite à des fins économiques.
Fort de cette expertise, le CCEM forme et sensibilise les professionnels et le grand public et participe aux instances nationales et européennes pour améliorer les pratiques et la mise en application des lois et des politiques contre la traite.
En 28 ans, le CCEM a accompagné plus de 1000 victimes au niveau national.
Le CCEM est membre du Collectif "Ensemble contre la Traite des êtres humains".