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Parents de mineurs victimes de traite

Les parents de mineurs victimes de traite jouent un rôle déterminant dans la sortie d’exploitation de leur enfant. Ce sont souvent eux qui effectuent les démarches, et qui souhaitent être accompagnés pour extraire la victime de sa situation.

Nicolas Bezin : Comment entrez-vous en contact avec les parents des victimes ?
Arthur Melon : En général, un des deux parents nous appelle, le plus souvent les mères, pour nous demander de l’aide, car un de leur enfant est en situation d’exploitation sexuelle. S’ils résident en région parisienne, nous lui proposons de venir nous rencontrer dans nos locaux. Sinon, nous réalisons l’accompagnement par téléphone et internet. 

N.B. : Pour quelles raisons les parents vous contactent-ils principalement ?
A.M. : Ils nous appellent souvent en dernier recours, après avoir vu la police, demandé de l’aide à la protection de l’enfance, être allé voir des psychologues… Ils ont alors l’impression d’avoir abattu toutes leurs cartes sans que la situation de leur enfant évolue. Ils espèrent qu’avec notre expertise, cela fera avancer les choses. Ils peuvent également nous contacter en cas de suspicions sur la conduite de leur enfant et souhaitent y voir plus clair. Dans ce cas, nous essayons de comprendre ce qui éveille leurs soupçons et de repérer d’autres signes qui alimenteraient ceux-ci.

Ils ont alors l’impression d’avoir abattu toutes leurs cartes sans que la situation de leur enfant évolue. Ils espèrent qu’avec notre expertise, cela fera avancer les choses.

N.B. : Comment accompagnez-vous les parents d’une victime ?
A.M. : Dans un premier temps, nous tentons de mettre la situation à plat pour bien comprendre toute la chronologie de l’histoire et la situation de l’adolescent : son âge, s’il est scolarisé, depuis combien de temps a-t-il des conduites inquiétantes, s’il a déjà subi des violences… Nous relevons également les démarches entreprises par les parents : ont-ils déposé plainte auprès de la police ? Le mineur est -il pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance ou la Protection Judiciaire de la Jeunesse ? Ces éléments nous permettent de voir où en sont les parents et en quoi nous pourrions leur être utiles.

N.B. : Que pouvez-vous alors leur apporter ?
A.M. : Nous pouvons les accompagner dans le dépôt de plainte, leur donner des nouvelles de l’enquête en contactant les commissariats et les parquets, les informer sur leurs droits, les orienter vers des partenaires pour un accompagnement psycho-social si besoin, les aider à obtenir l’aide juridictionnelle ou à se constituer partie civile.

N.B. : Les parents peuvent se constituer partie civile pour leur enfant ?
A.M. : Oui. Tout parent d’un mineur victime d’une infraction peut se constituer partie civile au nom de son enfant, même si celui-ci n’a pas porté plainte. Cela permet de réclamer des réparations en cas d’infraction. C’est donc très important, quand on porte plainte, de préciser que l’on veut se constituer partie civile, car ce n’est pas automatique. C’est à l’initiative du plaignant ou de toute autre personne qui s’estimerait victime d’un préjudice dû à l’infraction visée. Cette demande peut se faire jusqu’au jour de l’audience, tant que le parquet n’a pas fait ses réquisitions. 

N.B. : Que faites-vous concrètement pour faire évoluer la situation ?
A.M. : Nous facilitons les relations entre les professionnels et les parents afin qu’elles soient les plus efficaces et productives possibles. Chaque professionnel joue son propre rôle sans forcément concerter les acteurs qui gravitent autour de la victime. Chacun a ses propres objectifs et priorités. Nous nous mettons en relation avec la police, les éducateurs, les psychologues, les organismes sociaux, les magistrats, pour que chacun soit au même niveau d’information et que tous travaillent de façon cohérente, dans l’intérêt de la victime, et dans le respect du secret professionnel s’il y a lieu. Nous n’hésitons pas à défendre ses droits en rappelant la législation.

Nous nous mettons en relation avec la police, les éducateurs, les psychologues, les organismes sociaux, les magistrats, pour que chacun soit au même niveau d’information et que tous travaillent de façon cohérente, dans l’intérêt de la victime.

N.B. : Comment abordez-vous les parents lors de l’accompagnement ?
A.M. : Il faut savoir que, dans leur situation, les parents ont un vrai besoin d’exprimer leur souffrance et de raconter leur vécu. Notre premier rôle est de les écouter. Ça leur fait du bien d’avoir au téléphone des personnes compréhensives qui ne les jugent pas, qui connaissent bien le phénomène et qui sont en mesure de leur donner des éléments d’explication sur la situation de leur enfant. 

Ils retrouvent alors un peu de courage, de dignité et d’estime pour eux-mêmes.

N.B. : Ils se sentent du coup un peu moins seuls face à leur problème ?
A.M. : Oui, et pour pallier cet isolement, nous proposons des groupes de parole animés par une psychologue, qui réunissent en général 5 ou 6 parents. Ça leur permet de rencontrer d’autres personnes dans la même situation et de pouvoir partager leurs expériences.

N.B. : Quel conseil voudriez-vous donner aux parents de victime de traite ?
A.M. : La sortie d’exploitation demande beaucoup d’investissement et d’énergie au mineur, mais aussi à ses parents. Cette situation génère beaucoup d’inquiétude, et cela dure souvent plusieurs mois. Dans certains cas, les parents sont complètement désinvestis sur le plan sentimental, professionnel et social, car ils sont obnubilés par les horreurs que vit leur enfant. Il ne faut donc pas qu’ils oublient de prendre soin d’eux, puisqu’ils vont devoir affronter une véritable épreuve d’endurance.

Il ne faut donc pas qu’ils oublient aussi de prendre soin d’eux, de leur conjoint et de leurs autres enfants s’ils en ont, car ils vont avoir besoin d’énergie sur le long terme.

N.B. : En dehors des groupes de paroles et des échanges que vous avez avec les parents, utilisez-vous des outils ou dispositifs spécifiques pour l’accompagnement ?
A.M. : Il y a un an, nous avons édité un guide pour les parents qui permet de faciliter l’identification des adolescents qui auraient potentiellement des conduites prostitutionnelles. Cette brochure explique quelles sont les différentes infractions pour lesquelles ils peuvent déposer plainte, et comment le faire. Nous les informons également sur les demandes d’aide au département pour avoir une mesure d’assistance éducative. Enfin, nous mettons à leur disposition un annuaire où il y a des numéros et informations utiles pour effectuer des signalements ou demander des conseils. Ce guide réunit l’essentiel à connaitre sur le sujet. 

> Télécharger le guide

N.B. : Est-ce que l’accompagnement que vous faites auprès des parents vous apporte des éléments dans le cadre de votre travail ?
A.M. : Oui, vraiment, bien sûr. Les témoignages des parents nous permettent de convaincre la société de l’importance du phénomène. Leur parole ne peut être mise en doute, car c’est de l’ordre du vécu. Nous l’utilisons donc pour sensibiliser nos publics. Par ailleurs, ces témoignages nous permettent de prendre conscience très précisément et concrètement de ce que vivent les parents au quotidien, et des difficultés qu’ils rencontrent. Cela alimente nos réflexions et nourrit nos actions de plaidoyer auprès du gouvernement, des départements, des préfectures et de l’ensemble des institutions qui s’occupent de protection de l’enfance ou de prostitution, pour tenter de faire évoluer la loi sur la base d’éléments concrets.

Par ailleurs, ces témoignages nous permettent de prendre conscience très précisément et concrètement de ce que vivent les parents au quotidien, et des difficultés qu’ils rencontrent.

N.B. : Avez-vous créé des outils sur la base de ces témoignages ?
A.M. : En 2016, nous avions réalisé une vidéo réunissant des témoignages de parents et de professionnels. Cela nous a permis de mobiliser les médias sur le sujet et de renforcer nos actions de sensibilisation. 

Nous avons aussi réalisé une étude juridique basée sur le vécu et la parole des parents et sur nos observations lors des procès dans lesquels nous étions partie civile.

> Télécharger l’étude

Pour nous, cette proximité avec les parents est très importante car elle nous permet d’avoir les pieds ancrés dans la réalité. 

Agir contre la Prostitution des Enfants (ACPE)

L’Association a été créée en 1986 pour sensibiliser, en France sur l’exploitation sexuelle des mineurs d’abord à l’étranger et aujourd’hui en France.

Ses missions sont essentiellement : 
Des campagnes de communication
Des actions en justice
De l’aide aux victimes
Du lobbying
Des actions de formation

L'ACPE s'intéresse aujourd'hui, en particulier, aux adolescents français - particulièrement invisibles - qui adoptent des conduites prostitutionnelles et qui sont sous l’emprise de réseaux.


Article écrit en collaboration avec :
Arthur Melon, secrétaire général de l’ACPE