En novembre 2020 a eu lieu le séminaire du projet REST (qui signifie en anglais : Statut de résidence : renforcer la protection des victimes de la traite). Celui-ci s’est déroulé dans différents pays européens. Il s’agissait d’étudier l’effectivité de la protection des victimes de traite au regard des obligations européennes et internationales.
Le Projet REST
Le projet REST (Residency Status : strengthening the protection of trafficked persons) est parti d’un constat : les victimes de traite des êtres humains, en tant que porteurs de droits, ont besoin d’une protection notamment s’il s’agit de ressortissants étrangers.
Cependant, en Europe, les personnes en situation irrégulières éprouvent de grandes difficultés à accéder à la protection, condition pourtant indispensable à la reconstruction de la victime, et à son accès à la justice.
Cela entre en contradiction avec les standards européens et internationaux pour la protection de ces victimes.
Compte tenu de cette observation, des intervenants de 6 pays européens (Autriche, France, Espagne, Pays bas, Serbie, Moldavie) ont accepté de faire le bilan de la protection des victimes de traite sur leur territoire. Une association de chaque pays est en charge de réaliser cette étude. Des échanges ont eu lieu lors de différentes rencontres internationales afin d’aboutir à un rapport final incluant un diagnostic et des recommandations.
Le séminaire de novembre faisait partie de cette démarche. Il a réuni les 6 pays concernés par l’étude, ainsi que l’Allemagne, l’Irlande, la Suisse, l’Italie, avec la participation du Conseil de l’Europe et d’ONG internationales. Le Collectif "Ensemble contre la traite des êtres humains et certaines de ses associations membres étaient présents.
Pour le CCEM, partenaire français et co-organisateur, l’intérêt de cette démarche est également de s’inspirer des pratiques qui fonctionnent dans d’autres pays pour construire des propositions en France.
La réalité de la protection des victimes en France
L’accès à la protection dépend de l’action en justice
L’identification des victimes est le point d’entrée vers la protection. Or, dans plusieurs pays (dont la France), pour qu’une personne soit reconnue victime de traite, il faut qu’elle ait déposé plainte (ou dans le cadre d’un parcours de sortie de prositution pour les victimes d’exploitaiton sexuelle), et que celle-ci soit qualifiée de plainte pour traite des êtres humains.
Une victime a donc accès à la protection et à ses droits que si elle collabore avec la justice et que la police ou la gendarmerie, ainsi que le procureur puis le juge qualifient de traite les faits dont elle a été victime.
Cependant, le personnel de police, les procureurs et les magistrats manquent de formation sur la question de la traite et les différents types d’exploitation et n’ont pas toujours les moyens d’identifier les victimes.
Par ailleurs, de nombreuses victimes ne portent pas plainte par peur des représailles des exploiteurs sur elles-mêmes ou leur famille, et ne peuvent ainsi accéder à la protection.
Des procédures longues présentant un fort risque de ré exploitation
La longueur des procédures judiciaires et d’accès aux droits place les victimes dans des situations précaires. Leur permis de séjour, renouvelable chaque année, ne leur permet pas de se projeter à long terme et de s’insérer durablement socialement.
Pendant ce temps, la personne doit vivre, se nourrir, se vêtir, être hébergée. Cette situation présente un fort risque de ré-exploitation, qui peut alors devenir l’unique moyen de survie.
La reconstruction des victimes freinée par la procédure
Pour pouvoir accéder à ses droits, la victime doit raconter plusieurs fois son histoire devant différents jurys.
Cela est vécu comme une re victimisation qui freine la reconstruction personnelle de la personne, et qui est souvent source d’angoisse à l’idée de faire remonter les traumatismes du passé.
Des portes ouvertes par l’OFPRA, Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides
Au niveau de la protection internationale, l’OFPRA en France, est doté de personnes référentes formées sur la traite, qui mettent à jour leurs informations par rapport aux personnes en situation d’exploitation et selon les situations des pays .
Cela offre des possibilités de protection internationale en dehors d’une procédure judiciaire dans certaines situations.
Des pistes de solutions pour améliorer l'effectivité de la protection des victimes de traite des êtres humains en France
Pour une victime de traite, la protection est l’entrée vers l’accès aux droits sociaux-économiques, à l’insertion sociale, et in fine à une nouvelle vie après l’exploitation.
Cela ne doit pas dépendre de sa volonté d’enclencher ou non une démarche en justice.
La victime doit d’abord être protégée, et ensuite savoir si elle veut se lancer dans une procédure judiciaire.
Une meilleure collaboration entre les institutions et la société civile
Aux Pays-Bas, les associations travaillent avec les institutions et font partie du mécanisme national d’identification, de protection et de suivi social des victimes. De ce fait, celles-ci ont accès à la protection sans être obligées de lancer une procédure en justice. En France, cela est possible avec le Parcours de Sortie de Prostitution, mais il ne concerne pas toutes les formes de traite.
D’autres dispositifs sont à mettre en place pour les autres formes d’exploitation et une meilleure intégration des associations dans l’action des pouvoirs publics est à imaginer.
Par ailleurs, la reconnaissance du role des associations spécialisées par les pouvoirs publics, la justice et les institutions sociales permettrait une meilleure identification et un meilleur suivi des victimes au cours des procédures administratives, judiciaires, et d’insertion sociale.
La sensibilisation du personnel judiciaire
La formation à la question de la traite doit être approfondie pour la police des frontières, le personnel des préfectures et de l’OFII, les magistrats et les procureurs.
Il est nécessaire de donner à ces agents tous les éléments permettant d’identifier les premiers indices d’une situation d’exploitation.
Une identification des victimes dès leur arrivée en France
En Espagne, il existe une collaboration étroite entre les associations spécialisées dans l’accompagnement des victimes de traite et la police aux frontières.
Celle-ci permet l’identification et l’orientation des victimes de traite dès leur arrivée sur le territoire.
En savoir plus sur le projet REST
Le Comité Contre l’Esclavage Moderne- CCEM
Depuis 1994, le CCEM dénonce toutes les formes d’esclavage contemporain partout dans le monde. Il assure un accompagnement social et juridique des victimes de travail esclave, et de traite à des fins économiques. Fort de cette expertise, le CCEM forme et sensibilise les professionnels et le grand public et participe aux instances nationales et européennes pour améliorer les pratiques et la mise en application des lois et des politiques contre la traite. En 25 ans, le CCEM a accompagné plus de 850 victimes au niveau national.
Le CCEM est membre du Collectif "Ensemble contre la Traite des êtres humains".
Article écrit en collaboration avec Mona Chamass directrice du CCEM