En 2016-2017, ce groupe d’experts a conduit une mission d’évaluation de la politique et pratique française en matière de lutte contre la traite. Petya Nestorova, secrétaire exécutive de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains en souligne les axes principaux.
Vous avez procédé récemment à une évaluation sur la lutte contre la traite des êtres humains en France. Quels sont les points que vous avez évalués ?
L’évaluation menée par le GRETA en 2016 - début 2017 était la seconde évaluation de la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France. Elle s’est articulée autour de plusieurs points de la lutte contre la traite, différents mais complémentaires :
- Les efforts de prévention déployés par les autorités françaises : par exemple la stratégie nationale, les campagnes de sensibilisation et les mesures préventives, concernant aussi bien la traite à des fins d’exploitation sexuelle que l’exploitation par le travail, et avec un accent particulier mis sur les enfants ;
- Les mesures prises pour assurer la bonne identification des victimes (quel que soit le type d’exploitation), ainsi qu’une assistance adéquate et adaptée aux victimes, les mesures adoptées pour assurer la régularité du séjour des victimes étrangères au moins pendant la période d’assistance. Là encore, le coup de projecteur est mis sur les enfants victimes de traite, leur identification et les mesures d’assistance prévues spécifiquement pour eux à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant.
- Un certain nombre de questions relatives au droit pénal et procédural, et notamment le recours à l’incrimination de la traite par les services d’enquêtes, le Ministère public et les juges ; la protection des victimes tout au long de l’enquête et de la procédure pénale. Mais aussi ce que l’on appelle la non-sanction des victimes de traite ayant été amenées par les exploiteurs à commettre des infractions (par exemple, souvent pour les enfants pris dans des réseaux, le vol à la tire).
Comment avez-vous évalué ces différents points ?
Depuis 2012, année du premier rapport d’évaluation de la France, des progrès ont été effectués à plusieurs égards : un premier Plan d’action national 2014-2016, longtemps repoussé, a été adopté ; le 5 août 2013, la définition de l’infraction de traite des êtres humains telle que prévue à l’article 225-4-1 du code pénal a été a modifiée conformément aux recommandations précédentes du GRETA ; une meilleure coordination au niveau institutionnel est menée par la MIPROF.(Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains).Mais force est de reconnaître que des inquiétudes sérieuses persistent. Les insuffisances demeurent en matière d’identification des victimes et de mesures d’assistance.
Depuis 2012, année du premier rapport d’évaluation de la France, des progrès ont été effectués à plusieurs égards.
Comparé à d’autres pays dotés de mécanismes d’identification structurés, on note peu de victimes identifiées, et c’est particulièrement vrai en matière d’exploitation par le travail ou d’exploitation des enfants.
Les places dans les foyers d’assistance aux victimes sont encore très en deçà des besoins, notamment s’agissant de l’accueil des enfants et des hommes. Les poursuites à l’encontre des exploiteurs font encore peu souvent usage de l’infraction de traite et conduisent encore trop rarement à des condamnations ; en partie, en raison de la méconnaissance de l’infraction et des spécificités du phénomène de la traite, même s’il semble y avoir quelques avancées jurisprudentielles.
Des constats alarmants sont aussi dressés concernant les migrants en situation irrégulière et notamment les enfants non accompagnés, pour lesquels les efforts d’identification et d’assistance, mais aussi de prévention de la traite, sont grandement insuffisants. A l’occasion de la visite d’évaluation en septembre 2016, le GRETA s’est rendu dans la ‘jungle’ de Calais, démantelée peu après, mais qui semble se reformer. Par ailleurs de tels camps existent toujours dans d’autres lieux.
Comparé à d’autres pays dotés de mécanismes d’identification structurés, on note peu de victimes identifiées.
Au regard de cette évaluation, quelles recommandations faites-vous à l’Etat français pour améliorer la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains ?
A l’heure de l’évaluation, une des carences était sans nul doute le manque cruel de statistiques adaptées et complètes. Sans statistiques, les constats sont plus difficiles et l’adaptation et l’efficacité des politiques de lutte contre la traite en pâtissent nécessairement. Les autorités doivent poursuivre les efforts qu’elles ont entamés en la matière.
Des efforts plus soutenus sont également nécessaires pour sensibiliser d’une manière générale à la traite, mais aussi plus particulièrement, à la traite des enfants. Il n’y a à ce jour pas eu de véritable campagne nationale des autorités publiques autour du phénomène de la traite.
Pour l’instant, cela reste entre les mains des associations, avec des moyens financiers par trop limités.
La priorité absolue doit concerner l’adoption de mesures préventives pour fournir un environnement protecteur, tout particulièrement en faveur des enfants non accompagnés (hébergement sûr, accès à l’éducation et à la santé, etc.) ; il faut aussi que, sans délai, soient prises des mesures de prévention de la traite aux fins d’exploitation sexuelle, de la traite aux fins d’exploitation par le travail, la criminalité forcée, la contrainte à la mendicité, etc. Une approche multidisciplinaire et structurée doit être mise en place pour que l’identification et l’orientation des victimes soient véritablement efficaces.
Cela passe par une plus grande implication d’autres acteurs que la police, par exemple les inspecteurs du travail et de manière cruciale, les ONG spécialisées. Chacun doit apporter son savoir-faire et son expérience, dans un cadre clair pour tous. L’accent ne doit pas être mis sur l’éventuelle coopération de la victime avec la police, mais avant tout sur son orientation vers l’assistance dont elle a besoin. Une victime sera d’autant plus à même de coopérer avec la police qu’elle aura eu la possibilité d’obtenir une assistance adaptée dans un cadre approprié pour sortir du traumatisme de l’exploitation et commencer à se reconstruire.
Et qu'en est-il des enfants victimes ?
Cette approche doit absolument être adaptée à la situation des enfants, en ayant toujours comme point cardinal l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans leur cas, il faut absolument que, dans les délais les plus brefs, une tutelle soit systématiquement désignée pour défendre leurs intérêts. Pour l’instant, cela apparaît être encore très problématique. Des efforts considérables sont à faire pour identifier les enfants non accompagnés, victimes de traite dans les camps de réfugiés, ce qui était criant au moment de la visite. Cela est vrai aussi des enfants pris dans des réseaux les contraignant à voler ou à mendier sous peine de sévices. Trop souvent encore, ils sont d’abord vus comme des délinquants.
À cet égard, mais cela s’applique également aux victimes adultes, les autorités doivent faire davantage pour assurer l’application du principe de non-sanction lorsqu’une victime a été contrainte par un trafiquant à commettre une infraction. A l’heure actuelle, cette disposition est insuffisamment connue et insuffisamment utilisée, et cela peut avoir des conséquences dramatiques pour les victimes qui peuvent se voir incarcérées, voire être privées de toute forme d’assistance.
Il faut absolument que, dans les délais les plus brefs, une tutelle soit systématiquement désignée pour défendre les intérêts des enfants
Comment l’Etat se saisit-il des recommandations émises par le GRETA ?
En octobre 2018, un an après l’adoption d’une recommandation par le Comité de Parties à la Convention sur la base du rapport du GRETA, les autorités vont devoir faire état des mesures qui ont été prises pour mettre en œuvre ces recommandations ; cela permettra de faire le point sur les progrès accomplis mais aussi tout ce qui reste à accomplir. C’est un moyen de s’assurer que le rapport d’évaluation continue de vivre après sa parution et de maintenir une certaine pression sur les autorités afin de faire évoluer les choses.
Comment le Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » peut-il aider à l’application par l’Etat de vos recommandations pour une meilleure prévention et lutte contre la traite des êtres humains ?
L’apport de la société civile dans la lutte contre la traite est déterminant. Au vu de leur connaissance de la question et du terrain, la société civile doit être un partenaire indispensable des autorités. Elle est également un partenaire naturel pour le GRETA. A la lumière du Rapport du GRETA, le Collectif peut suivre les domaines dans lesquels les autorités n’avancent pas assez et « faire des piqûres de rappel » par les moyens qui sont les siens (réunions avec les autorités, déclarations, campagnes, etc.). L’idée est d’être unis contre la traite, chacun armé des outils qui lui sont propres. Les liens de communication avec le GRETA sont aussi permanents, par le biais de tables rondes et autres rencontres.
Le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe est chargé de veiller à la mise en œuvre, par les Parties, de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Certains membres du Collectif «Ensemble contre la traite des êtres humains » ont contribué à la rédaction de cette convention. Par ailleurs le Collectif transmet régulièrement au GRETA ses constats et ses propositions pour une lutte contre la traite des êtres humains effective et une prise en compte des victimes dans la dignité.