Il y a un an, au tribunal correctionnel de Béziers, se tenait le procès de 2 clients de la prostitution accusés d’avoir eu recours à l’achat de prestations sexuelles auprès de mineures. Il est rare que ce type d’affaire arrive devant la justice. Ce fut donc l’occasion de sensibiliser les magistrats sur la réalité de la prostitution des mineures et des mécanismes qui peuvent y mener.
Les faits concernent deux victimes françaises, copines de lycée, au profil très différent. L’une a vécu des violences intra-familiales, et vivait avec sa mère. Selon l’expertise psychologique, elle aurait subi des attouchements sexuels très petite. La seconde vient d’une famille classique au sein de laquelle elle se sentait privée de liberté. Elles se sont lancées dans la prostitution dans le but de s’émanciper et gagner de l’argent rapidement. Sur Internet, leurs annonces les présentaient comme des personnes majeures.
Lors d’une passe, un client s’est montré agressif et a exigé des pratiques qu’elles ne souhaitaient pas. Cet événement les a traumatisées au point de décrocher de leur scolarité.
Conscient de la gravité de la situation, le père d’une des jeunes filles a décidé de porter plainte et a tout mis en œuvre pour que l’enquête se déroule dans les meilleures conditions.
Un procès axé sur la minorité des victimes
Les prévenus étaient accusés en tant que clients de la prostitution. Les 2 jeunes filles étaient défendues par leurs avocats. Lors du procès, l’essentiel était de savoir si les acheteurs avaient connaissance ou non de la minorité des victimes.
Les accusés ont reconnu avoir eu recours à des prestations sexuelles tarifées, mais ont nié être au courant de l’âge des victimes. C’est sur ce point sensible que s’est basée la défense car la lourdeur des peines en dépend directement.
Au final, les prévenus ont été condamnés à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 3000 € d’amende pour l’un et 12 mois d’emprisonnement avec sursis probatoire et 1000 € d’amende pour l’autre. Une indemnité de 4000 € pour préjudice moral a été allouée aux victimes. La décision du montant de l’indemnité du préjudice lié à la difficulté de poursuivre ses études en raison de l’impact psychologique des faits a été renvoyée sur intérêt civil. L'Amicale du Nid a demandé et obtenu 1€ symbolique d'indemnisation.
Le témoignage personnel des victimes
Malgré la présence des acheteurs, les victimes ont choisi d’apporter leur témoignage au procès. Ils étaient centrés sur les conséquences psychologiques de l’exploitation sexuelle qu’elles avaient vécues.
Les 2 jeunes filles ont exprimé les traumatismes générés par les pratiques exigées. Elles ont évoqué la honte et l’autodénigrement qui ont suivi les faits, ainsi que les conséquences que cela a eu sur le suivi de leurs études.
La sensibilisation des magistrats sur les réalités de la prostitution
Dans ce procès, l’Amicale du nid s’est constituée partie civile suite à la demande de l’assistante sociale du commissariat de Béziers. Le rôle de l’association fut essentiellement de sensibiliser la Cour à la réalité de la prostitution tout en mettant l’accent sur le processus de déconstruction psychologique et les traumatismes qu’elle engendre sur les victimes, en particulier quand elles sont mineures.
La défense des prévenus visait à atténuer la responsabilité des acheteurs tout en accentuant celle des victimes, insistant sur le fait qu'elles avaient "choisi" de se prostituer, illustrant le rapport que notre société entretient avec l'exploitation sexuelle des mineures.
Cependant, le plaidoyer de l’association, ajouté aux témoignages des victimes, ont permis aux magistrats de prendre conscience de la violence des faits et du préjudice subi.
Accompagner le devenir des victimes
Aujourd’hui, les 2 jeunes filles reconnaissent la violence de la prostitution mais n’ont pas conscience d’avoir été victimes d’un système.
Tomber dans l’exploitation sexuelle est pourtant quasiment systématiquement lié à une fragilité et une représentation erronée de la sexualité et de la relation à l’autre prenant sa source dans les stéréotypes sexistes et les inégalités homme-femmes.
Un suivi psychologique a été préconisé pour les 2 victimes. Il est destiné à traiter les traumatismes, à identifier les facteurs fragilisants qui les ont conduit à la prostitution et à reconstruire une relation saine à l’autre et un nouveau rapport à la sexualité.
Un plaidoyer à prolonger
Il est assez fréquent que les préjudices subis par les victimes soient sous-estimés par les magistrats lors des procès par méconnaissance des réalités de la prostitution.
Pour les associations, se porter partie civile leur permet de poursuivre leur plaidoyer et de sensibiliser les magistrats sur les mécanismes de la prostitution et le statut de victime des personnes exploitées.
L’Amicale du Nid
L’Amicale du Nid (AdN) est une association qui compte 75 ans d’engagement auprès des personnes en situation de prostitution, victimes du système prostitutionnel, du proxénétisme et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle pour un accompagnement vers la sortie. C’est une association laïque, indépendante de toute organisation ou parti. Ses principes sont l’égalité entre les femmes et les hommes, la non-patrimonialité du corps humain qui ne peut être considéré comme un bien ou une marchandise, la dignité de la personne humaine visant à garantir son intégrité physique et psychologique contre toute atteinte extérieur.
L’association est présente sur 15 départements et compte plus de 200 professionnel.les qualifié.es et régulièrement formé.es. Elle inscrit son action dans un continuum au service de la prévention et de la lutte contre le système prostitutionnel :
Le plaidoyer ;
action spécifique d’aide aux victimes d’infractions pénales : accompagnement juridique dédié, constitution de partie civile, chiffrage des préjudices
La prévention, la sensibilisation, la formation (l’AdN est organisme de formation), des diagnostics territoriaux, des recherches-actions, des missions mineur.es sur 5 départements : 1 500 professionnel.les sensibilisé.es et formé.es et 400 jeunes rencontré.es en intervention de prévention par an ;
L’aller-vers : 3 300 personnes rencontrées dans l’espace public, 1 700 sur Internet ;
L’accompagnement social global personnalisé : 4 500 personnes accueillies, 1 400 accompagnées ;
L’hébergement et le logement accompagné avec plus de 480 places : plus de 1 300 personnes hébergées ou logées par an (dont plus d’1/3 d’enfants).
L’adaptation à la vie active avec deux ateliers d’adaptation à la vie active (AAVA) comptant 38 places avec près de 90 stagiaires par an.
Article écrit en collaboration avec Anna Billard, Juriste coordinatrice à l’Amicale du Nid.