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L'investissement de l’Ofpra dans la lutte contre la traite

Pourquoi l’Ofpra s’intéresse-t-il à la question de la traite des êtres humains ? 

L’Ofpra est mobilisé de longue date sur la question de la traite des êtres humains car elle constitue un motif de protection en droit d’asile. Ainsi une victime de traite qui démontre s’être effectivement distanciée de sa situation d’exploitation, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, décision n° 418326 du 16 octobre 2019), et justifier pour ce motif, si elle regagne son pays d’origine, de craintes fondées de persécution ou d’un risque réel d’atteintes graves, sans pouvoir se prévaloir utilement de la protection des autorités de son pays, se voit octroyer le statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 ou, à défaut, le bénéfice de la protection subsidiaire. 

Ceci, quels que soient la forme et le lieu de l’exploitation dans le cadre de la traite : celle-ci peut avoir eu lieu dans le pays d’origine de la victime, dans un pays tiers sur son parcours d’exil et/ou sur le territoire de son pays d’accueil. 

Depuis quand L'Ofpra s'investit dans la lutte contre la traite ? 

C’est progressivement, à compter des années 2000, que se sont construites l’identification et l’appréciation de ce motif de protection par l’Office, au regard des profils évolutifs des demandes d’asile liées à la traite et des développements consécutifs de sa doctrine, adossée à la jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile et du Conseil d’Etat. 

Et depuis 2013, de manière structurante et transversale au sein de l’établissement, l’Ofpra a mis en place des dispositifs dédiés aux vulnérabilités au sens du droit européen de l’asile, ce qui inclut la traite des êtres humains.

Pouvez-vous présenter quelques types de personnes victimes rencontrées à l'Ofpra ? 

La majorité des demandes d’asile en lien avec la traite des êtres humains émane de femmes, majeures ou mineures, alléguant s’être soustraites à une situation de traite à des fins d’exploitation sexuelle. 

Quel que soit leur âge, elles se réfèrent souvent à un continuum de violences, disant avoir été recrutées après avoir subi des violences intrafamiliales et/ou avoir été exposées à des pratiques traditionnelles néfastes telles que le mariage forcé ou les mutilations sexuelles féminines. 

La servitude domestique ou le travail forcé continuent leur progression et, plus à la marge, l’Office est saisi d’autres formes de traite, notamment l’incitation à commettre des délits, l’exploitation de la mendicité ou la gestation pour autrui. 

Toutes formes d’exploitation confondues, les situations invoquées se placent avant le départ du pays, sur le parcours migratoire et/ou en France. 

Les craintes alléguées en cas de retour dans le pays d’origine le sont avant tout à l’égard des exploiteurs, mais aussi de l’entourage direct, en particulier celui des femmes se déclarant victimes d’exploitation sexuelle.

Qu'en est-il de leur repérage parmi tous les demandeurs d'asile ?

Il arrive de plus en plus souvent que l’Ofpra identifie des indicateurs nombreux d’une potentielle situation de traite sans que, en dépit d’encouragements à la verbalisation, celle-ci soit revendiquée à l’appui du besoin de protection. 

De fait, dans une procédure dont le point de départ est déclaratif et où le récit oral, recueilli lors de l’entretien personnel à l’Ofpra, occupe une place centrale, l’identification de craintes fondées sur la traite des êtres humains est complexe : les victimes peinent souvent à révéler tout ou partie de leur véritable situation auprès de l’Office, que ce soit par crainte de représailles, sous l’emprise de trafiquants qui, comme dans le cas des réseaux nigérians de traite aux fins d’exploitation sexuelle, instrumentalisent le droit d’asile en contraignant leurs victimes à produire un récit élaboré sous leur contrôle, ou encore par méconnaissance de leur situation de victimes et de leurs droits sur le territoire français. 

Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Ceci est par exemple le cas des profils de femmes transgenres victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle, originaires d’Amérique latine ou du sous-continent indien, deux profils aux parcours similaires. Initialement, ces femmes fondent leur demande d'asile sur leur identité de genre, dont résultent leur exclusion familiale et des discriminations dans l’accès à l’emploi qui les conduisent à se rapprocher d’autres femmes transgenres. En Amérique latine, il s’agit de « madres » plus âgées, présentées comme des guides ou des protectrices, qui les orientent vers la prostitution afin qu’elles puissent subvenir à leurs besoins et financer leur transition de genre. 

Si elles affirment s’être livrées à la prostitution pour leur propre compte, l’analyse fine de leurs conditions de vie et de travail peut conduire l’Ofpra à identifier des situations de traite dans la mesure où ces femmes sont contraintes à la prostitution dans des zones de non droit contrôlées par des gangs et soumises à diverses taxes souvent extorquées par la violence. 

Parfois, les éléments d’une collusion entre les « madres » et les gangs voire les autorités locales ressortent de l’instruction et sont confirmées par les informations fiables produites par la Division de la documentation, de l’information et des recherches sur les pays d’origine de l’Ofpra (https://www.ofpra.gouv.fr/publications/publications-pays). 

Pour les ressortissantes du sous-continent indien, essentiellement des femmes transgenres bangladaises ou pakistanaises appelées « Hijra » ou « Khwaja Sira », il s’agit plutôt de rejoindre une communauté de femmes transgenres, organisée autour d’un gourou qui leur offre protection et accueil en échange d’une participation à la vie de la communauté. Cette participation passe par des prestations de danse lors de cérémonies de mariage mais entraîne aussi, parfois, de l’exploitation sexuelle et des relations sexuelles avec le gourou lui-même. 

Fait notable, elles ont rarement conscience d’avoir été victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle par leur gourou. 

Leur trajectoire migratoire permet parfois aux femmes transgenres latino-américaines ou asiatiques de s’extraire de l’exploitation sexuelle, mais celle-ci peut perdurer, ou reprendre pour le compte de nouveaux exploiteurs, sur le territoire français. 

Autre exemple, le profil d’hommes victimes d’exploitation par le travail qui, s’il concerne hommes et femmes de toutes nationalités, est régulièrement identifié chez les ressortissants bangladais ou pakistanais issus de milieux très modestes, de castes dites inférieures, employés dans le secteur du bâtiment, en particulier dans des briqueteries. 

Les parents peuvent avoir contracté une dette auprès de leur employeur pour financer le quotidien ou des soins médicaux, conduisant leur créancier à recrute également l’un des enfants, parfois encore mineur. 

Telles que décrites, les conditions de travail caractérisent sans équivoque l’exploitation par le travail. Souvent, la famille est elle-même à l’origine de la migration du jeune, dans le but de résorber la dette familiale. La trajectoire est marquée par des séjours longs dans des pays tiers où le demandeur est à nouveau amené à travailler dans des conditions indignes. Une fois en France, ces personnes apparaissent fréquemment très isolées, peu suivies par les associations, et leur état de santé est préoccupant. A l’appui de leur demande d’asile, ils invoquent rarement la traite alors même que l’exploitation de la famille dans le pays d’origine peut perdurer. 

Ainsi l’Ofpra identifie-t-il régulièrement des situations de traite des êtres humains, y compris quand ce motif n’est pas le fondement initial du besoin de protection au titre de l’asile. 

Comment l'Ofpra se mobilise-t-il pour mieux prendre en compte les personnes victimes de traite ? 

Depuis 2013, l’Ofpra a institué cinq groupes de référents consacrés aux vulnérabilités, dont l’un est dédié à la traite des êtres humains. Il a pour missions, d’une part, l’appui à l’instruction des demandes d’asile relevant de cette thématique, ce qui se traduit par des avis consultatifs sur des dossiers individuels et l’élaboration de lignes directrices à vocation interne ; d’autre part, la formation des officiers de protection instructeurs et des encadrants de l’Ofpra aux spécificités de la traite, et la formation de partenaires variés, dont les interprètes intervenant lors des entretiens conduits à l’Office, conformément à la Charte de l’interprétariat. De plus, sous la coordination du chargé de mission Vulnérabilités et Qualité de l’établissement, le groupe de référents « Traite des êtres humains » contribue au dialogue de l’Office avec ses interlocuteurs associatifs et institutionnels spécialisés en la matière, dont le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » ou la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). 

Il est à noter que parmi les associations habilitées à accompagner les demandeurs d’asile lors des entretiens conduits par l’Ofpra, en application de l’article L.531-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), plusieurs sont spécialisées dans l’accompagnement des victimes de traite. 

S’agissant de l’information et de l’orientation des victimes, les officiers de protection instructeurs sont formés à dispenser, lors de l’entretien personnel, les informations nécessaires sur les droits ouverts en France aux victimes de traite. Ils disposent d’une brochure interne recensant les coordonnées utiles (associations, numéros verts et d’urgence), afin de proposer si nécessaire aux victimes identifiées une orientation vers une prise en charge adaptée. Ce référentiel a été actualisé en 2025 et comporte désormais un volet ultramarin. En outre, afin de renforcer l’information des victimes de traite sur le droit d’asile, une affiche est en cours d’élaboration entre l’Ofpra et la Miprof et un focus dédié à la traite est disponible sur le site Internet www.ofpra.gouv.fr. 

S’il y a lieu, et avec le consentement du demandeur d’asile concerné, un signalement à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) peut être opéré aux fins de réévaluation de ses conditions matérielles d’accueil et de mise à l’abri sécurisante, comme le prévoit l’action n°2 du Plan Vulnérabilités (2021). 

Enfin, l’information sur les modalités particulières d’examen et les garanties procédurales spéciales proposées aux victimes de la traite est détaillée au chapitre 6 du Guide des procédures à l’Ofpra, disponible en français et en anglais sur le site Internet de l’Ofpra / Professionnels / Associations / Les outils pour accompagner les demandeurs d’asile et personnes protégées.

Que reste-il à développer pour mieux répondre aux défis de la prévention et de la lutte contre la traite des êtres humains ?

Compte tenu de la hausse continue des effectifs de l’Ofpra et du renouvellement régulier des équipes, mais aussi des évolutions des profils de la demande d’asile et du phénomène de la traite lui-même, la formation reste un enjeu central. 

Le groupe de référents « Traite des êtres humains » est ainsi pleinement mobilisé à renouveler chaque année et actualiser régulièrement les modules de formation proposés en interne. 

A titre d’exemple, en 2025, huit sessions ont été organisées, comptant près de 200 participations. A cela se sont ajoutées trois actions de formations auprès de partenaires extérieurs, pour un total d’environ 160 participations. En 2026, un nouveau module d’approfondissement sur la traite des êtres humains sera destiné aux encadrants de l’Ofpra et un module transversal sur les violences sexuelles faites aux enfants réunissant les groupes de référents « Traite des êtres humains », « Mineurs », « Torture et traumatisme » « Violences faites aux femmes » et « Orientation sexuelle et identité de genre » est en cours d’élaboration. Ces formations sont essentielles afin de former les agents de l’Ofpra à instruire la complexité des demandes de protection déposées sur le fondement de la traite, et indispensables pour les sensibiliser aux indicateurs leur permettant d’identifier des situations de traite potentielle qui ne seraient pas spontanément exprimées. Elles sont en outre fondamentales pour qu’ils s’approprient les outils développés en interne aux fins d’information et d’orientation des victimes. 

Un deuxième enjeu tient à la poursuite du dialogue partenarial de l’Ofpra avec les acteurs spécialisés sur la traite des êtres humains, capital pour renforcer encore la capacité de l’établissement à mieux identifier les victimes de la traite et, lorsque les critères du droit d’asile sont satisfaits, mieux les protéger. 

Afin de partager les actions et bonnes pratiques en la matière, l’Office mène régulièrement des actions de formation et d’information sur la demande d’asile au motif de la traite des êtres humains auprès de ses partenaires, à leur sollicitation, et organise dans ses murs des temps d’échanges dédiés, tels que les Journées portes ouvertes ou les Perspectives Asile. Ce faisant, l’Ofpra s’inscrit résolument dans la chaîne des acteurs nationaux engagés dans la lutte contre la traite des êtres humains. 

Enfin, la perspective de l’entrée en application, en juin 2026, du Pacte européen sur la migration et l’asile et, singulièrement, de ses dispositions relatives aux demandeurs d’asile en situation de vulnérabilité, est un troisième enjeu fort sur lequel l’Ofpra, aux côtés de l’ensemble de ses partenaires de la chaîne de l’asile, est pleinement mobilisé.