Si la définition de la traite des êtres humains inclut clairement l’exploitation interne aux pays, le phénomène est mieux connu dans sa dimension internationale. Le foyer AFJ rencontre de plus en plus de victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle de nationalité française.
Pendant la crise du Covid-19, le foyer continue à accueillir les femmes de diverses nationalités qui y étaient auparavant.
L'équipe s'est organisée et les premières semaines de confinement Covid-19, Yolanda Gutierrez, la directrice, a assuré la présence sur place afin de permettre aux femmes qui vivaient au foyer d'y rester. Cela a permis de construire une organisation pérenne dans ce nouveau contexte. Maintenant deux personnes de l'équipe se relaient au foyer.
Suite à la présence d’une femme présentant les symptômes du Covid-19 Il a fallu d'abord permettre le confinement de chacune des personnes hébergées. Il fallait pousser les murs, dégager quelques chambres supplémentaires afin que chaque femme accueillie ainsi que la directrice ait sa propre chambre.
L'organisation des journées a aussi été revue, l’accès aux espaces communs régulé et en particulier les prises de repas pour que les gestes barrières puissent être réellement effectués.
L'accompagnement individuel de chacune, au niveau éducatif, social, psychologique et juridique s'est poursuivi autant que possible par téléphone avec les personnes de l'équipe confinées chez elles et pouvant faire du télétravail.
Un problème se posait alors ; en effet, internet n'étant pas accessible sur une partie de la maison , il a fallu dans les premiers jours l'installer pour que chacune puisse y avoir accès. Ceci permettait alors d’être en lien, non seulement avec l’équipe éducative et psychosociale mais aussi de diminuer les risques d’isolement en leur facilitant le lien avec la famille et les amis.
Ici, l'interview de Yolanda Gutierrez, réalisée à la veille du confinement, concernant la traite interne à la France.
Nicolas Bezin : Comment rencontrez-vous ces victimes française ?
Yolanda Gutierrez : C’est souvent la police qui les oriente vers l’AFJ, essentiellement la Brigade de Répression contre le Proxénétisme. Cela peut arriver suite à un démantèlement de réseau ou après une plainte d’une victime contre ses exploiteurs. Malheureusement, quand il s’agit de victimes françaises, la police retient souvent l’infraction de proxénétisme aggravé, de séquestration, de viol, ou de maltraitance, mais pratiquement jamais l’infraction de traite des êtres humains.
Dans les esprits, la traite ne concerne souvent que les populations étrangères et est liée à l’immigration. La traite interne est très mal reconnue. Mais elle existe aussi en France.
N. B. : Quels sont les besoins exprimés par les victimes françaises lorsqu’elles sont accueillies au foyer ?
Y. G. : Venant pour la majorité de province, elles souhaitent premièrement rentrer chez elles.
Etant majeures, ces femmes restent donc très peu de temps dans le foyer. De plus, certaines d’entre-elles ont des enfants en bas âge, qu’elles ont laissés chez des amis le temps de leur venue à Paris. L’urgence pour elles est de les retrouver.
N. B. : Dans ce laps de temps très court, que pouvez-vous faire pour elles ?
Y. G. : Provenant essentiellement de parcours de l’Aide Sociale à l’Enfance, elles connaissent déjà ce type de prise en charge et la vie en foyer et ne souhaitent plus en bénéficier. Nous allons donc au plus urgent dans le temps qui nous est imparti. Cela revient à répondre aux besoins primaires : être hébergé, manger, dormir, se laver et leur proposer des soins médicaux. Nous les accompagnons aux convocations des Unités Médico Judiciaires et leur proposons les dépistages Maladies Sexuellement Transmissibles et grossesses.
N. B. : Sont-elles en danger quand elles retournent chez elles rapidement ?
Y. G. : Dans la réalité oui, mais elles n’en n’ont absolument pas conscience. Parfois, elles ont été exploitées par des connaissances proches sur un laps de temps assez court. Elles ne se rendent pas compte du danger représenté par les auteurs ; danger particulièrement important si elles ont porté plainte. Elles manquent de protection.
N. B. : Dans ce contexte, que faire ?
Y. G. : La prévention auprès des jeunes à risque de devenir victime ou auteur apparait comme le meilleur levier à actionner. La pénalisation des jeunes exploiteurs pourrait également marquer les esprits et freiner le développement du phénomène.
Le délit de « traite des êtres humains » étant rarement retenu lorsque les victimes sont françaises, il est difficile d’obtenir des peines significatives lors du jugement des exploiteurs. L’accompagnement juridique dans la durée est à activer. Et la formation des juges sur ce sujet reste à promouvoir.
N. B. : Et avec l’AFJ, que proposez-vous ?
Y. G. : Les femmes qui ont un entourage familial instable et des enfants en bas âge, sont très isolées, fragiles et vulnérables. Si elles partent, nous devons les orienter vers des associations locales les aidant à ne pas retomber dans l’exploitation. Cependant le cadre équilibré entre sécurité et liberté offert par le foyer AFJ incite les femmes à rester pour bénéficier d’un accompagnement en vue d’une reconstruction et réorientation.
Celles-ci sont intéressées par les perspectives de réinsertion offertes par l’éducation et les formations proposées. Elles en profitent pour se projeter dans un avenir professionnel valorisant qui leur donne envie de sortir de l’exploitation.
N. B. : Dans l’idéal, quelle prévention faut-il prévoir ?
Y. G. : Il faut réunir autour d’une table les acteurs concernés en contact avec les victimes et auteurs potentiels : ASE, Police, Education Nationale, associations de quartiers, associations de parents… Le but est de recenser les observations terrain des acteurs et de voir ce que chacun peut envisager en prévention à son niveau pour travailler ensemble de façon complémentaire.
La prévention pourrait se faire sous forme de messages sur les réseaux sociaux, de prise de paroles de célébrités appréciées par ce public, d’information sur les médias auxquels ce public est sensible.
L'association AFJ
C’est une association comprenant un foyer de mise à l’abri de 12 places et un appartement de 3 places à destination des femmes victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle.
Elle propose un accompagnement global des victimes : mise à disposition d’un hébergement, suivi administratif (ouverture des droits et régularisation administrative), suivi psychologique, actions éducatives d’insertion (apprentissage du français, accompagnement d’insertion professionnelle). Des activités sont proposées aux femmes au sein du foyer.
L’Accompagnement est effectué par une équipe de professionnels et des bénévoles.
Article écrit en collaboration avec Yolanda Gutierrez, directrice d’AFJ